Les maisons d’un côté, les commerces de l’autre, c’est fini, espèrent les penseurs du quartier nouveau et amélioré.

« Dans un monde meilleur, tout ce dont vous avez besoin dans une semaine typique devrait se trouver à moins de 10 minutes à pied « , dit Alexandre Turgeon, président de Vivre en ville, un organisme de Québec qui réfléchit depuis une quinzaine d’années aux questions de développement urbain.

Tout ce dont vous avez besoin signifie essentiellement l’épicerie, la pharmacie, le lieu de travail, l’école, la garderie, le bistrot ; bref, tout ce qui composait le quartier de banlieue typique des années 1950, avant que l’émergence des centres commerciaux ne sépare les maisons des entreprises. Pour Alexandre Turgeon et pour bien d’autres spécialistes du développement urbain, le progrès passe par un retour en arrière, vers cette époque où on marchait pour aller travailler, reconduire les enfants à l’école et faire l’épicerie. Et c’est de plus en plus possible de le faire.

En outre, les centres commerciaux sont devenus trop gros, soutient Ellen Dunham-Jones, professeure d’architecture et coauteure du livre Retrofitting Suburbia (« réaménager la banlieue »). Selon elle, ils proposent en moyenne plus de 20 pi2 d’espace commercial par personne aux États-Unis, contre 13 au Canada, six en Australie et trois en Suède – le plus haut taux en Europe. « Détaillants et fabricants doivent chercher des façons créatives pour bien s’implanter dans les petites communautés « , écrivait-elle en août dernier dans le magazine Harvard Business Review.

La vraie conciliation travail-famille

Deux mots magiques sont nécessaires pour réussir cette modernisation : cohabitation et densité. La « mixité des fonctions « , comme le disent les experts, permet de marier résidences, commerces et locaux pour bureaux dans un même secteur, ce qui contribue généralement à diminuer les trajets en auto et à rehausser la qualité de vie. La densité de la population, elle, permet aux commerçants de faire vivre leur entreprise avec les gens du quartier. Ainsi, plus besoin d’attirer des clients à 15 km à la ronde pour survivre.

Des projets qui marient ces deux concepts se développent dans des dizaines de quartiers dans le monde. Surtout en Europe, à Barcelone, Grenoble, Lyon, Nantes, Stockholm ou Toulouse, mais aussi aux États-Unis, à Boca Raton, en Floride, ou à San José, en Californie. Ici ? La ville de Québec est l’une des plus actives avec son projet de Cité verte dans le quartier Saint-Sacrement, et celui du secteur D’Estimeauville, plus à l’est. Avec le Technopôle Angus, Montréal n’est pas en reste. La ville a transformé l’immense terrain désaffecté du Canadien Pacifique en un quartier multifonctionnel où se côtoient maisons de ville, usines et une poignée de commerces de détail.

Un étonnant projet

L’un des projets les plus spectaculaires au Québec demeure celui du Faubourg Boisbriand, situé à une quinzaine de kilomètres au nord de Montréal, qui promet de révolutionner la banlieue. D’ici à trois ans, moment où le promoteur prévoit avoir vendu toutes les résidences, le site de l’ancienne usine de General Motors devrait avoir atteint l’un de ses buts : diminuer l’utilisation de l’auto. Le Faubourg accueillera progressivement une centaine de commerces de détail, 1700 triplex, condos et maisons de ville, ainsi que des locaux pour bureaux, un aréna, un théâtre, un hôtel et même un complexe résidentiel pour personnes âgées. Tout cela sur moins de 1 km2.

« On peut faire mieux, mais il s’agit d’un grand pas en avant par rapport à la banlieue qu’on connaît « , dit Hélène Gignac, chef de l’exploitation du Faubourg. Parmi les imperfections, on note le mégacentre commercial qui ceinture le projet. Comme ces grands détaillants ne peuvent pas survivre avec les résidants du Faubourg pour seuls clients, ils vont fatalement drainer leur flot d’automobiles des quartiers et villes avoisinants. « Nous sommes à l’intersection de deux très grandes artères [les autoroutes 15 et 640]. Il a fallu faire des compromis « , explique Mme Gignac.

S’agit-il d’un mariage maisons-commerces moins sécuritaire pour les enfants que le bon vieux quartier de banlieue ? Pas s’il est bien pensé, répond Hélène Gignac. Le secteur résidentiel du Faubourg est à l’écart du reste et comprend des parcs, deux lacs ainsi que des sentiers pédestres et de vélo.

Et comme le dit Alexandre Turgeon, c’est déjà mieux que les complexes de cinéma qu’on construit aux abords des autoroutes, ou que des nouveaux centres commerciaux comme le Quartier DIX30, à Brossard, « où on tente de créer une ambiance villageoise, mais où il faut se rendre en auto ! « 

Stéphan Dussault, Protégez-vous, 2009