En 1999, l’instauration d’un plan de garantie sur la construction de maisons neuves devait améliorer la qualité du produit fini. Pourtant, ce souhait ne s’est pas encore concrétisé, soutiennent des architectes, inspecteurs en bâtiments et ouvriers qui sonnent l’alarme. En plein boom immobilier, de nombreux entrepreneurs vont vite, tournent les coins ronds et n’inspectent pas leurs chantiers. Des aberrations se produisent et c’est le consommateur qui en paie le prix. Les deux associations de constructeurs au Québec réfutent catégoriquement ces accusations. Qui faut-il croire? Débat d’experts.

Pour Sylvain Dionne, inspecteur en bâtiments depuis 10 ans, il ne fait pas de doute que la qualité dans la construction neuve régresse depuis quelques années.  » Dans la surchauffe actuelle, chaque corps de métier travaille en vase clos, sans se soucier de ce que font les autres. Les uns défont le travail des autres. Tout le monde n’a qu’un seul objectif: travailler le plus vite possible « , remarque-t-il.

Le temps presse. Donc, les pratiques fautives, au lieu d’être corrigées, se perpétuent d’année en année. Parmi les problèmes les plus souvent remarqués par M. Dionne, on note le coulage de béton en hiver sans le chauffer, ce qui donne un béton de moindre qualité qui s’effritera rapidement, l’absence de vérification du sol, pourtant composante essentielle d’une construction, et les problèmes d’étanchéité de toute sorte.

Les entrepreneurs semblent réticents à corriger ces pratiques fautives. Pourquoi? Par ignorance, pense M. Dionne.  » Ils me répliquent: On a toujours fait ça de cette manière et on n’a jamais eu de problème. À mon avis, les entrepreneurs ne mettent pas assez l’accent sur la qualité « , affirme-t-il.

Charles Tanguay, porte-parole de l’Union des consommateurs et cofondateur de l’Association des consommateurs pour la qualité dans la construction, est du même avis. Il critique d’ailleurs les plans de garantie, qui n’ont rien changé à la situation et que doivent payer les consommateurs (le coût de la garantie est inclus dans le prix de la maison).  » Certains constructeurs se spécialisent carrément dans la mauvaise qualité. Ils font des économies de bouts de chandelles qui, en fin de compte, coûtent cher aux consommateurs. Beaucoup de problèmes ne font leur apparition qu’après sept, huit ou 10 ans, soit après la fin de la garantie, qui ne dure que cinq ans « , constate-t-il.

M. Tanguay souhaite l’adoption d’une réglementation musclée qui ne permettrait plus aux entrepreneurs de se défiler face à leurs responsabilités (les fameux fly by night). Le porte-parole de l’Union des consommateurs espère aussi que les gouvernements mettront de l’ordre dans le fouillis réglementaire dans lequel nage le secteur de l’habitation au Québec, où il n’existe pas de norme unique. Chaque municipalité a la responsabilité de dicter les normes applicables sur son territoire. Résultat: beaucoup de petites villes ne possèdent aucune réglementation!  » La non-uniformisation pose problème autant pour les constructeurs que pour les consommateurs, qui ne savent plus comment s’y retrouver « , déplore M. Tanguay.

L’APCHQ et l’ACQ pensent au contraire que la qualité des maisons neuves ne cesse de s’améliorer depuis le début des années 1990. Les mauvaises pratiques seraient le fruit de quelques entrepreneurs récalcitrants, qui ternissent cependant l’image de l’industrie, disent-ils en guise de défense.

Pour étoffer leurs propos, les associations signalent qu’elles n’ont pas constaté de hausse anormale des plaintes, et ce, malgré l’augmentation des mises en chantier. La qualité ne serait donc pas en baisse.  » On constate par contre une hausse des erreurs de finition, comme des tuiles qui ne sont pas de la bonne couleur ou des prises électriques aux mauvais endroits. Cependant, les erreurs de construction diminuent constamment « , affirme Bernard Gaudichon, de l’Association de la construction du Québec.

La pénurie de main-d’oeuvre cause cependant des maux de tête aux entrepreneurs, qui doivent traiter leurs sous-traitants aux petits oignons, faute de quoi ils risquent de les perdre.  » Si on les talonne trop, ils risquent de partir « , admet M. Gaudichon. Comment fait-on alors pour réprimander les mauvais travailleurs?

Les deux associations prétendent aussi que leurs entrepreneurs sont soumis à un programme d’inspection rigoureux. Cependant, l’ACQ ne compte que quatre inspecteurs au Québec, tandis que l’APCHQ n’en a que sept. Ces 11 inspecteurs étaient-ils suffisants pour visiter les quelque 45 000 logements construits au Québec en 2003? Charles Tanguay en doute.

Quant à la Régie du bâtiment du Québec (RBQ), elle refuse de prendre position dans ce débat puisqu’elle ne possède aucune donnée comparative lui permettant d’affirmer ou d’infirmer que la qualité dans la construction diminue.

À qui peut-on se fier, alors, avant d’acheter une maison neuve? La réponse: à vous-même! La RBQ recommande de faire trois inspections de la maison convoitée avec un professionnel. La première lorsque la fondation est coulée, la deuxième quand tout est monté mais avant que les murs soient fermés. La troisième, c’est l’inspection préachat.  » Malheureusement, les consommateurs ne font que la dernière inspection. Il reste de la sensibilisation à faire « , dit Hélène Chouinard, porte-parole de la RBQ.

Charles Tanguay recommande aux gens de ne pas acheter à tout prix, même si les taux d’intérêt sont bas.  » Le rêve à 800 $ par mois, c’est peut-être une attrape, avertit M. Tanguay, surtout si vous vous saignez littéralement pour payer cette propriété. En cas de problèmes, vous n’aurez pas les moyens de vous défendre. Il vaut peut-être mieux rester locataire un peu plus longtemps… « 

Auteur : Diotte, Simon Source : La Presse, samedi 14 février 2004